On court. Les miliciens sont à nos trousses. Mon souffle est court.
Je me sens … vivant.
La voici cette vie dont je rêvais. Ou presque.
Je rêve à l’après. Lorsque nous aurons terrassé toute cette vermine de vampires. Lorsque nous pourrons clamer ouvertement notre liberté, nous fiers humains. Je rêve d’une vie meilleure, d’un monde plus juste. Mais je ne passe pas pour un idéaliste avec de telles idées.
Nous avons tous le même espoir ici bas. Ou tout du moins presque tous.
Encore une fois, Narcisse reste à la traine.
J’avais vendu mon appart dès qu’il avait accepté de m’accompagner dans les sous-sols. Pour ne pas lui laisser le temps de réfléchir et de faire marche arrière. Pour qu’il soit totalement mien.
Plus d’amis miliciens, l’appartement était remplacé par une tente miteuse. Il n’y avait plus que lui, moi … et les rebelles. Notre nouvelle famille.
J’avais tellement désiré ce moment.
Mais si je prenais littéralement mon pied à risquer tous les jours ma vie pour la cause rebelle, un élément venait ombrager ma gaieté. Une ombre sous la forme de Narcisse.
Parce que si je savais que j’avais réellement trouvé ma place dans les souterrains d’Albstraum, il n’en était pas de même pour celui que j’avais tiré à ma suite. Je le voyais bien.
Que Narcisse regrettait notre appart.
Qu’il manquait de se faire dessus lors de chacune de nos excursions.
Que sa vie d’antant lui manquait.
Et pourtant, je n’ai rien fait. Je me suis contenté de le pousser en avant, pour le motiver … en espérant vainement qu’il s’habituerait à cette vie. A mon nouveau style de vie.
J’ai essayé de me montrer un peu plus gentil. De penser un peu à lui. Parce que je savais qu’il avait tout perdu en me suivant … et même si je ne regrettais rien, j’ai cherché à être un peu plus présent.
Sa présence m’apaisait, plus souvent je me suis surpris à perdre mes mains dans ses douces mèches de cheveux. Pour le calmer, pour le rassurer. Pour lui montrer que j’étais là.
Pour moi aussi.
Je n’avais pas encore compris à ce moment-là, à quel point je tenais à lui.
Parce que le problème aurait pu être réglé simplement, j’aurais pu tout simplement le renvoyer à la surface et le laisser se débrouiller. Mais égoïstement, j’avais fait passer mes envies en premier : j’avais gardé mon chien à mes côtés.
Et pourtant, il ne m’a pas facilité la tâche.
D’abord en s’isolant et en m’obligeant à constamment allé le chercher pour qu’il mange et se fonde un peu plus dans la vie du camp. Qu’il y trouve sa place. Comme je l’avais fait facilement.
Ensuite en se mettant à dos quelques-uns de nos nouveaux amis. Narcisse parlait peu, mais les rares fois où il a ouvert la bouche ce fut pour dire des conneries. Comme cette fois où il ne trouva rien de mieux à avouer que l’identité de son père : un putain de milicien.
Il avait fallu que je fasse des pieds et des mains par la suite pour que les autres ne le virent pas à coups de pied dans le derrière. Mais j’étais un bon élément, j’avais prouvé la loyauté plusieurs fois et ma réputation suffit à protéger Narcisse. Parce que chacun savait qu’il m’appartenait.
Ce jour-là, je l’ai frappé pour la première fois … parce que mes suppositions s’avéraient vraies : Narcisse détestait notre nouvelle vie et comme un con, ce fut par la violence que j’ai exprimé mon inquiétude.
Parce qu’il était hors de question qu’il parte.
Je faisais enfin ce que je voulais : je luttais pour notre liberté.
J’avais trouvé une vie qui me plaisait.
Des personnes aux côtés desquelles je pouvais lutter.
Rien ne manquait, pas même des filles voir même quelques rares mecs avec qui je pouvais prendre du temps.
Mais Narcisse restait le point noir de mon histoire : la cause pour laquelle une pointe d’inquiétude demeurait toujours en moi.
Je voyais bien qu’il ne changeait pas d’avis, qu’il détestait toujours autant cette vie, mais je m’y accoutumais. Après tout, il était en sureté au campement, c’était la simple chose qui comptait à mes yeux.
Alors la fois où je l’ai retrouvé seul à la surface, apeuré alors que la nuit était déjà tombée, il m’a semblé que son cœur s’est arrêté de battre une brève et pourtant interminable seconde. Parce qu’il était en danger.
Ce jour-là, j’étais de sortie avec quelques gars pour une quelconque mission dont je ne me rappelle plus.
Ce jour-là alors que je forçais tout le monde à presser le pas pour que nous rentrions plus vite, inquiet de savoir Narcisse à l’air libre … il s’est fait attaqué. Un vampire me l’a arraché des mains et a fait de lui son repas. Et pour la première fois, j’ai perdu le contrôle. J’ai criblé le corps du vampire de balles gaspillant de précieuses munitions alors que la première balle tirée précisément entre les deux yeux aurait suffi.
Ce jour-là, je me rendis compte que je m’étais voilé la face : Narcisse représentait bien plus qu’un simple animal de compagnie à mes yeux.
Je tenais à lui.
Je l’ai veillé trois jours, jusqu’à ce qu’il aille mieux.
J’ai remis mes idées en place.
Et puis j’ai repris le cours de ma vie.
Et inévitablement nos engueulades ont recommencées.
Parce que Narcisse ne se plaisait toujours pas.
Parce qu’il me reprochait le fait que je ne passais pas toutes mes nuits à ses côtés. Il devait étrangement jaloux et même si je me suis étrangement fier de susciter du désir chez mon compagnon.
Je n’étais pas prêt à imaginer qu’il pouvait avoir plus que de l’amitié entre nous.
Parce que je voulais être libre … sur tous les points de ma vie.
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Et la vie a continué.
Bien qu’inquiet pour la sécurité de mon fidèle compagnon, je l’ai aidé avec enthousiasme lorsqu’il se proposa pour l’une de nos missions de surface. J’y voyais là un changement, l’espoir que Narcisse s’implique véritablement dans nos actions. J’ai donc plaidé distraitement sa cause à l’oreille du responsable et l’aube venue, c’est avec le grand trouillard du campement que nous avons émergé des entrailles d’Albstraum.
La mission n’était pas plus dangereuse qu’une autre.
Il nous fallait nous rapprovisionner en armes et munitions, quelques attaques étaient prévues pour bientôt et il ne fallait pas que nous soyons à court. Et si j’avais espéré une première mission tranquille pour Narcisse … il n’en fut rien.
Tout s’était bien déroule, jusqu’à ce que nous partions.
Ce fut à ce moment que la milice nous ait tombés dessus.
Nous nous sommes battus comme des beaux diables, après tout le ravitaillement avait eu lieu … nous avions donc l’avantage d’être bien armés. Pas un instant je n’ai eu peur, j’ai même fait parti de ceux qui se sont jetés sur l’ennemi pour permettre aux autres de fuir. J’avais l’habitude des combats, la Milice était notre ennemi juré et j’avais l’impression que nous nous battions contre eux depuis la nuit des temps.
Il n’y eut que lorsque je me suis rendu compte que Narcisse ne se trouvait pas en sureté, caché derrière mon dos comme il en avait l’habitude lorsque nous étions plus jeune, que je me suis à avoir peur. Non pas pour moi … mais pour lui. Pour un autre que ma petite personne.
Sans l’aide d’un camarade, je me serais fait tuer ce jour-là.
Parce que déstabilisé, occupé à chercher frénétiquement des yeux cette chevelure argentée dont je connaissais les moindres reflets, je n’ai pas vu qu’un milicien m’avait dans sa ligne de mire. Si mon pote ne l’avait pas abattu avant qu’il appuie sur la détente … ma carrière au sein de la rébellion aurait brusquement pris fin.
Le ventre noué mais les pensées de nouveau en place, je me suis remis au combat, priant pour que Narcisse se soit terré dans un coin ou que ses longues jambes l’aient porté loin d’ici.
On a finalement eu le dessus sur ses raclures et avant que les survivants ne ramènent du renfort, nous nous sommes dépêchés de faire demi-tour et de récupérer les nôtres au passage.
Des ennuis comme ceux-là, nous en avions déjà eu et alors qu’un dernier coup de feu a résonné non loin de nous, j’ai craint que les renforts soient déjà arrivés.
Mais alors que nous nous se précipitions dans la ruelle la plus proche, je marquais un temps d’arrêt au coin de la rue. Certainement trop habitué à le chercher des yeux, je l’aperçus alors qu’il s’enfuyait plus loin et rapidement je vis l’autre … à terre. Celui dont Narcisse parlait avec tant d’enthousiasme.
Ce milicien que j’avais aperçu une unique fois alors qu’il avait raccompagné Narcisse non loin de chez nous.
Les autres autour de moi se mirent à parler avec activité.
Parce que chacun d’entre nous était surpris par le geste de notre trouillard notoire. Personne ne l’aurait cru capable d’une telle chose … moi encore moins que les autres. Surtout lorsque je connaissais l’identité de l’homme à terre.
Le brouhaha ne s’estompa pas, alors que le milicien grimaçait, essayait d’arrêter le saignement de son épaule, je me suis rapproché de lui. Beaucoup voulaient le garder, le maintenir en vie et s’en servir comme monnaie d’échange lors d’une prochaine mission. Mais avant que qui se soit ne prenne de décision ferme, un nouveau coup de feu retentit et le regard dur, j’ai regardé ce chien de milicien crever à mes pieds.
Ce mec ne serait plus jamais une menace.
Ni pour la rébellion.
Ni pour Narcisse.
Ni pour moi.
Je dis à chacun de laisser croire à Narcisse qu’il était celui qui avait abattu véritablement le milicien. Je voulais croire comme les autres que mon compagnon s’était enfin fait à notre vie et qu’il avait fait son choix.
Et lorsque j’ai rejoins Narcisse, que je l’ai rassuré, je ne lui ai rien dit. Parce qu’une fois de plus il paniquait complètement et même si je savais que je l’aurais soulagé en lui apprenant qu’il n’avait pas tué son ami, je n’ai rien dit. Parce que j’avais été celui qui avait abattu le chien et je ne voulais pas que la vision que Narcisse avait de moi change.
Je lui ai dit qu’il n’irait pas en prison.
Je lui ai chuchoté à l’oreille qu’il avait fait ce qu’il fallait.
Je l’ai bercé d’illusions tout en l’apaisant par quelques caresses.
Mais pour une fois, cela ne suffit pas.
J’aurais pourtant du m’en douter. On n’abattait pas un ami sans en subir les dommages collatéraux et ces derniers se manifestèrent sous la forme de remords chez Narcisse. Des remords qui le poussèrent à me demander de le tuer. Parce qu’encore une fois, il n’avait pas les couilles pour se suicider. Mais je dois bien avoué que ce manque de courage m’a bien aidé cette fois.
Je n’avais jamais rien entendu d’aussi insensé et une fois encore, j’ai cru que j’allais devoir le frapper pour lui remettre les idées en ordre. Mais je me suis retenu … et mon chien m’a chassé de son panier.
Et la vie a continué son cours.
Même si ne montrait pas mon malaise, je restais inquiet pour mon compagnon de tente. Parce que je ne l’avais jamais vu aussi mal. Mais égoïstement, je fais le choix de garder la vérité pour moi … on finissait tous par guérir, certaines blessures mettaient juste un peu plus de temps que d’autres pour se refermer.
Alors pour me changer les idées, j’ai continué à me taper celle qui m’attirait le plus dans notre campement … et d’autres plus discrètement. Il n’avait rien de mieux pour se vider la tête … et pourtant c’était toujours une pointe douloureuse qui se plantait dans ma pointure lorsque je croisais le regarde terne de Narcisse.
Je dois bien avouer que je m’en suis voulu.
Et que pour oublier la détresse de celui qui me prenait pour son pilier, je me suis donné un peu plus à fond dans nos missions. Jusqu’à me mettre grandement en danger.
Comme l’imbécile que j’étais, j’avais fait le choix de chasser un vampire errant loin de notre campement. Seul. La menace était apparue et je n’avais pas attendu les renforts pour me lancer à sa poursuite.
Je savais pourtant que physiquement ces créatures avaient le dessus sur nous, qu’ils avaient d’étranges pouvoirs capables de nous rendre plus faible encore que des insectes. Mais j’avais besoin d’évacuer cette haine qui m’animait constamment et qui me poussait à me disputer trop souvent avec Narcisse. Et j’avais un peu trop confiance en mes propres capacités.
Ce jour-là, j’ai eu nouvelle fois manqué de me faire tuer lorsque le vampire m’a entraîné jusqu’à son repère … ou l’attendait une autre créature. J’ai vidé mon chargeur et j’ai pris mes jambes à mon cou.
Je n’étais pas parvenu à les tuer, à peine à les ralentir et je me suis engouffré dans des galeries que je ne connaissais pas en espérant pourvoir les semer.
Je n’y serais certainement pas arrivé, ces putain de créatures ayant malheureusement bien plus d’endurance que moi, si quelque chose ne les avait pas soudainement fait fuir. Comme un bouclier invisible qui les fit soudainement hurler de douleur, les faisant se stopper dans leur course.
Essoufflé, plié en deux par un point de côté qui me déchirait littéralement le ventre, je les ai vu pester, tourner en rond, avancer vers moi avant de cracher de douleur une nouvelle fois.
Et finalement, ils s’en sont allés.
Je n’ai jamais compris ce phénomène.
Je n’avais aucune idée à cet instant que je n’avais pratiquement trouvé Last Eden … et que j’ai été marqué. Sans le savoir je venais de passer du statut humain à celui de prophète adepte, surtout que je suis resté sur place de longues heures pour m’assurer que les vampires n’allaient pas revenir à la charge.
Il m’a fallu du temps pour retrouver mon campement par la suite et ce fut dans un sale état que mes compagnons me retrouvèrent.
Par la suite, je ne le savais pas mais un prophète serait certainement venu me chercher pour Last Eden … mais le destin en avait destiné autrement pour moi.
Parce que quelques jours après ma brève disparition, je suis parti en mission à la place de Narcisse. Au dernier moment, j’étais parvenu à le retenir. Parce qu’il avait beau avoir fait ses preuves aux yeux des autres, il restait toujours aussi spécial à mes yeux. Et même si j’étais incapable et si je n’avais aucune envie de mettre des mots sur ce que je pouvais ressentir à l’égard de mon fidèle compagnon, j’étais certain d’une chose : je voulais lui éviter les ennuis autant que je le pouvais.
Je préférais le savoir au campement en train d’aider, plutôt qu’à la surface en train de risquer sa vie.
Et je ne savais pas que ce jour-là s’était mon dernier jour en tant qu’homme libre … tout du moins pendant une certaine période.
Parce qu’une fois de plus, les choses tournèrent mal et si certains parvinrent à s’enfuir, ce ne fut pas mon cas.
Et je fus envoyé à Aanor avec un autre de notre clan.
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Et aujourd’hui après un peu plus d’une année et demie de détention, je renais.
Nous avions été pris pour un petit crime ce qui expliquait la faible durée de notre peine et pourtant, ce séjour m’avait paru duré une éternité.
De nouvelles marques sont apparues sur mon corps durant ces presque deux ans.
Marques de combat dont je ne parlerais pas.
Je ne parlerais pas de ma détention. Parce que je comprends maintenant pourquoi les anciens détenus sont étrangement silencieux à leur retour sur Albstraum.
Je ne parlerais pas non plus de cette étrange marque brune qui est apparu sur son visage alors que je me débattais pour échapper aux prises des miliciens qui me trainaient vers Aanor.
Étrangement, ce jour-là j’ai senti la colère et autre chose bouillonner en moi, j’ai senti le bout de mes doigts picoter … et je me suis évanoui.
A mon réveil, mon compagnon qui s’était fait attrapé en même temps que moi m’avait raconté que quelque chose s’était produit dans ma barque dans laquelle je me tournais … lui était dans une autre plus en arrière. De là où il était, il avait vu soudainement un éclair fendre le ciel pourtant un beau bleu et s’abattre sur l’un des miliciens qui se trouvaient dans la barque.
Je n’ai rien dit lorsqu’il m’a raconté cette histoire.
Mais je ne l’ai pas cru.
Personne n’était capable d’invoquer la foudre. L’un de ces foutus vampire peut-être. Mais pas un misérable humain comme moi.
Et pourtant, tout au long de mon séjour, cette étrange marque brune apparue sur ma joue n’a pas arrêté de m’interloquer.
Mais cela m’importe peu aujourd’hui.
Parce que je sors enfin d’Aanor.